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  1. Mika's first interview for the journal "Le Monde" 04.02.2021 after losing his mother On s’attendait à le voir surgir sur l’écran tel un zébulon, vêtu d’une de ces invraisemblables tenues patchwork acidulées qui ont fait sa marque de fabrique. On imaginait un intérieur pop, entre « L’Ile aux enfants » et Andy Warhol. On le pensait à Miami, où il possède une maison, en Toscane, où il se réfugie une partie de l’année, ou à Paris, puisqu’il vient d’enregistrer un show au château de Versailles, diffusé le 5 février sur France 5. On le trouve à Athènes, dans un immeuble déglingué des années 1970. Il apparaît dans un tee-shirt noir sur pantalon blanc et nous fait visiter avec son portable le studio où il écrit, un capharnaüm où s’entassent cartons à même le sol et piles de livres sur des étagères bon marché. « C’est horrible ici, c’est tout pourri », s’amuse Mika. Le chanteur tient à nous raconter l’histoire de cet improbable endroit. L’année dernière, la pandémie a donné un coup d’arrêt à sa tournée mondiale. Après l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les dates et les vols s’annulent les uns après les autres, la Chine puis la Corée, le Japon, l’Amérique latine enfin. Il rentre alors à Paris pour se rendre au chevet de sa mère malade, puis décide d’aller se confiner en Grèce, où vit son amoureux. « Les dix premiers jours de ce confinement ont été un désastre total, se souvient-il en avalant une gorgée de Campari. Depuis quinze ans, je voyage tout le temps, et là, on s’est retrouvés d’un coup ensemble 24 heures sur 24. C’était comme si j’envahissais son espace, et lui le mien. » Avant d’en venir aux mains avec son jules, il a sagement décidé de louer l’appartement du dessus pour y poser son bazar, son travail et sa nervosité. Surprenant et attachant Autre atout, et non des moindres, de ce refuge : un petit balcon donnant sur le Parthénon. « Il faut toujours avoir une vue, dans la vie », commente-t-il. Une remarque qui nous semble pleine de bon sens, comme nombre des réflexions qu’il partagera ce soir-là, malignes et profondes, loin de l’image de l’histrion au rire électrique que l’on avait entraperçu dans une émission de télévision à large audience. Car, autant être honnête : Mika, le bondissant coach de « The Voice » entre 2014 et 2019, l’excentrique chanteur populaire, ne nous inspirait pas plus que ça. On le redoutait agaçant et ennuyant, on le découvre surprenant et attachant. Son confinement grec de trois mois et demi, il raconte l’avoir mis à profit pour étudier la philosophie et les relations internationales, et pour apprendre l’arabe. Quatre heures de cours par Zoom en plus des devoirs imposés par ses profs à distance, de l’écriture de son sixième album et de la confection de petits plats. « Un soir, alors que je sortais quelque chose du four, j’ai entendu un morceau de musique qui m’a fait pleurer. C’était comme une décompression du cerveau, ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps. C’est la première fois de ma vie que je me posais, je suis redevenu quelqu’un qui écoute de la musique et plus seulement un interprète. Cette pandémie m’a paradoxalement reconnecté avec le monde. Plus j’étais enfermé à la maison, plus j’étais curieux de l’extérieur. » Il garde de cette parenthèse un souvenir positif, même s’il a eu son lot d’angoisses. Sa tournée n’est pas amortie, laissant des équipes sur le carreau. Sa mère, atteinte d’un cancer du cerveau, attrape le Covid et se retrouve seule à l’hôpital, entre la vie et la mort. Mika ne peut pas l’avoir au téléphone pendant plusieurs jours, qu’il traverse avec un terrible sentiment d’impuissance. Sa mère provisoirement tirée d’affaire, il recommence à travailler. « Ce concert, c’était une lettre d’amour à ma mère et à la musique qu’elle m’a assignée à faire. C’est la dernière performance qu’elle aura vue. » Mika, de son vrai nom Michael Holbrook Penniman Jr, en a vu d’autres. A 38 ans, il a déjà eu cent vies. Né à Beyrouth d’une mère libano-syrienne et d’un père américain, il quitte le Liban à l’âge de 1 an, chassé par la guerre civile. Après un détour par Chypre, la famille atterrit à Paris, dans le XVIe arrondissement. La vie y est agréable, jusqu’à ce que le père, banquier, se retrouve coincé au Koweït pendant la guerre du Golfe. Il reste huit mois à résidence dans l’ambassade américaine et rentre abîmé. Il a perdu son travail, la joie et les rires se font de plus en plus rares, les huissiers, eux, font des incursions de plus en plus fréquentes dans l’appartement familial. Lorsque Mika a 8 ans, ses parents décident de déménager en Angleterre. Là-bas, il est victime de harcèlement scolaire, détesté par des profs qui ne goûtent ni son look original (nœud papillon, chemise à pois, pantalon jaune citron ou rose framboise confectionnés par sa mère couturière) ni ses manières « de fille ». Il devient dyslexique au point de ne plus pouvoir écrire, à peine parler. Il quitte l’école, écœuré. Sa mère ne lui laisse pas le choix : il chante et tâte déjà du piano, il fera de la musique et réussira. « Je devais travailler la musique quatre heures par jour, je pleurais, je détestais ce que ma mère était en train de faire avec moi. Plus tard, j’ai compris le message qu’elle voulait me faire passer : puisque tu t’es senti dévalorisé par le système scolaire, tu vas retrouver confiance en toi en travaillant. » Il intègre le conservatoire, se dote d’une formation classique. A 10 ans, il est déjà chanteur professionnel. Parallèlement, il écrit ses chansons et compose des mélodies pop, fabrique des maquettes artisanales qu’il présente aux maisons de production. Il ne compte plus les portes qu’on lui claque au nez, jusqu’au succès : en 2007, son premier album, Life in Cartoon Motion, s’écoule à 5,5 millions d’exemplaires dans le monde dont 1,4 en France. Il enchaîne les tubes, remplit les stades et aligne les disques (cinq au total). Se réinventer De ce parcours baroque, Mika conserve un appétit de vie protéiforme, une culture foisonnante, une originalité assumée. Il parle couramment anglais, français, italien, espagnol. Il écrit, joue, compose, produit, fait de la télévision, lance une émission de télévision en Italie où il est une vedette, écrit pour le Corriere della Sera. En attendant la reprise des concerts, il essaye de se réinventer : « Je dois ouvrir un nouveau chapitre de ma créativité pour cette deuxième partie de carrière qui m’attend. Si on ne se réinvente pas, quand on est musicien, on est mort. » Pour Versailles, il a conçu un récital piano-voix accompagné d’un orchestre baroque, de grands noms de la musique classique et d’un chœur gospel. « J’ai voulu montrer que je suis le produit du clash entre ces deux univers, classique et pop. » Toute sa famille était là pour l’occasion, ses quatre frères et sœurs, dont la plupart travaillent avec lui, et cette mère qui a tant compté, accompagnée d’une aide-soignante. « Pendant deux heures, elle ne m’a pas quitté des yeux, je me suis dit que je faisais tout ça pour elle. Ce concert, c’était une lettre d’amour à ma mère et à la musique qu’elle m’a assignée à faire. C’est la dernière performance qu’elle aura vue. » Là d’un coup, le verre de Campari disparaît de l’écran, la voix se fait hésitante, le regard semble chercher des points d’appui sur les murs. Il finit par lâcher : « Elle est morte il y a quinze jours. » C’est la première fois qu’il en parle à quelqu’un qu’il ne connaît pas. L’apéro prend soudain une teinte tragique. S’instaure un silence gêné qu’il rompt joliment : « Je vais continuer pour elle. On peut danser avec des larmes dans les yeux. »
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